and here we are again. [kerian]

Depuis les premiers jours de l'organisation du mariage sur l'île, le quotidien de Samuel Bishop avait été perturbé. Non pas que ça le dérangeait plus que ça, il y avait bien longtemps qu'il avait appris à s'adapter à tout, seulement chaque jour se révélait plus surprenant que celui passé. Entre les invités qui souhaitaient changer leur réservation, ceux qui ne se plaisaient pas dans leur chambre, les employés qui n'en pouvait plus de subir des ordres venus de partout – alors qu'ils étaient habitués à n'en recevoir que de Samuel – et enfin les deux jeunes mariés qui paraissaient affolés par toute cette agitation, le directeur de l'hôtel ne savait parfois plus où donner de la tête et à qui accorder son attention. Alors il prenait toujours une pause dans sa journée, pour décompresser et ne pas céder à la même panique qui semblait s'être emparée de tous ceux qui l'entouraient. Il enfilait ses bottes de marche en vieux cuir usé et prenait le chemin de la forêt qui bordait l'hôtel pour respirer un bon bol d'air frais. Évidemment il se munissait de son portable pour pallier à toute urgence mais il s'accordait le droit de laisser son esprit vagabonder loin de ses préoccupations habituelles, ou tout du moins professionnelles. Parce que finalement c'était bien toujours les mêmes pensées qui venaient le hanter alors que ses pas foulaient le sol humide. Ada. Charlie. Le suicide de Paige. Les meurtres. Ada. Charlie. Et ça tournait en rond pendant une bonne heure.

Alors qu'il entamait son retour vers l'hôtel il décida de faire un détour par le bureau du shérif. C'était aussi devenu une petite habitude – moins fréquente pour éviter d'être taxé de harceleur professionnel mais régulière tout de même – et il avait besoin de connaître les avancées de l'enquête. Ou plutôt essayait-il de se persuadé qu'il n'y avait pas d'enquête. Parce que si enquête il y avait cela voulait dire que le suicide de Paige n'en était pas vraiment un, ou qu'il impliquait quelques mystères à élucider, et sur cette île les mystères n'étaient jamais bons à découvrir. L'estomac noué il gravit donc rapidement les quelques marches pour atteindre le porche de poste et en franchir les portes comme s'il était chez lui. Un calme étrange y régnait, nulle âme qui vive n'entra dans son champ de vision. Il tendit le bras pour frapper le comptoir d'accueil. « Hey y a quelqu'un ici ? » Sa voix grave raisonna, ne rencontrant qu'un vide presque angoissant. Un commissariat déserté n'était jamais bon signe… Et si un cadavre avait été découvert ? Et si tous les adjoints avaient été appelés sur les lieux d'un crime ? Presque inconsciemment Samuel attrapa son cellulaire pour joindre Charlie, la baby-sitter de sa fille – et encore, si elle n'avait été que cela tout aurait été bien plus simple – afin de s'assurer qu'Ada allait bien. La jeune femme se chargea de rassurer le père angoissé et il raccrocha tout aussi rapidement. Il devait tout de même bien y avoir quelqu'un au poste, on ne laissait pas un tel lieux sans surveillance. Il décida donc de passer les portes battantes menant aux bureaux et salles d'interrogatoire. Non, il n'était pas du genre à abandonner si facilement et il avait bien besoin de quelques réponses maintenant qu'il s'était monté tous ces films dans sa tête… « Hého ! Y a vraiment person… » Il s'interrompit en franchissant le palier du bureau d'un adjoint et en appercevant une silhouette qui lui tournait le dos. Son cœur manqua un battement. Il avait beau ne pas voir son visage, il l'aurait reconnue entre mille. Kerian. Son premier réflexe fut de se pincer, pour s'assurer qu'il ne rêvait pas (ou ne cauchemardait pas d'ailleurs) mais il soupira devant son idiotie et attendait simplement qu'elle se retourne pour en avoir le cœur net. Ce qu'elle fit enfin, lui coupant le souffle comme elle l'avait fait la première fois qu'il l'avait vue. Si de nombreux sentiments bataillaient en lui à cet instant précis – surprise, colère, joie, incompréhension – il ne laissa rien transparaître et se parât d'un masque placide et d'un rictus désintéressé. « Je peux savoir ce que tu fous là ? » Son ton était aussi glacial que le regard qu'il posa sur elle alors que son épaule venait se caler contre le chambranle de la porte.

Cela faisait très exactement une semaine et deux jours maintenant que Kerian était de retour sur Harper's Island. Poussée par ses mêmes tripes qui l'avaient entraînée loin de sa famille, notre Australienne était de retour. Trois ans qu'elle était partie, trois ans qu'elle avait tourné le dos à la petite île. A bord du ferry qui la ramena sur les côtés, son souffle se coupa. Elle se souvenait de tout dans les moindres détails : les maisons, la couleur des briques, la marina qu'elle avait toujours tant aimé, les rues sinueuses, les montagnes en fond, les cris d'oiseaux et l'odeur des pins. Etrangement rien n'avait changé et en même temps tout semblait différent. Harper's Island avait grandit en son absence, elle avait fait de même et savait qu'à présent, toutes deux allaient devoir se ré-apprivoiser.

Peu de monde était au courant de son retour. Elle y avait veillé. Surtout parce qu'elle craignait que Samuel apprenne sa présence par le bouche à oreille. Non Elle désirait faire les choses correctement. D'abord le boulot, se poser, s'installer et enfin - le plus rude - aller frapper à la porte de son mari ... enfin disons ex-mari. Pour ce qui était de se loger, elle avait trouvé. Une petite maison typique à louer à l'est de la ville, non loin du port et à quelques pas du bureau du Shérif. Elle n'avait pas hésité. Côté boulot, elle n'eut pas à argumenter des heures. Elle possédait la formation, connaissait l'île, et se révélait un atout supplémentaire dans cette affaire louche de suicide. Suicide ou autre. Il était ici clair que tout était envisagé et que chaque policier de Harper's Island avait été briefé : état de garde au plus haut ! Bien que Caster Declaggen ne se priva pas de la sermonner, c'est quatre jours plus tard qu'il la fit signer son contrat. Si Kerian lui faisait faux bond, le jeune homme lui promis de se charger de lui faire regretter personnellement. Ker' hocha la tête positivement. Elle n'était plus là pour fuir.

Aujourd'hui était le grand jour. 7h00, au poste, réunion officielle. Remise d'arme, de badge et de véhicule de service, ainsi qu'attribution d'un coéquipier. Kerian fut présentée à l'équipe et dans les minutes qui suivirent, plusieurs dossiers lui furent remis. Il était temps de se mettre au parfum. Quant à ce soir, elle se chargerait du cas le plus complexe : Samuel. Lui et Ada lui avait trotté en tête la journée entière. Plus les heures passaient et plus la boule au ventre lui montait.

En ce début d'après-midi, pas mal d'officiers étaient sur le terrain alors que d'autres planchaient sur l'étude de cas suspects dans l'affaire de Paige. Kerian faisaient parties de ces derniers. Elle quitta un instant la salle commune pour aller chercher un verre d'eau et c'est à cet instant précis que son sang se glaça au son de décibels qu'elle ne connaissait que trop bien. Samuel ! Elle n'avait pas tout compris mais aurait pu reconnaître sa voix rauque entre toutes. Merde ! Ce n'était pas comme ça qu'elle voulait qu'il apprenne son retour. Comme immobilisée, elle resta paralysée quelques secondes de dos avant d'enfin prendre son courage à deux mains et se retourner. Il était bel et bien là, plus grand que jamais, le visage fermé. Il portait cette expression de replis qu'il avait l'habitude de sortir en position compromettante. Il devait être bien plus que surprit mais prenait un malin fou à ne rien laisser transparaître. De son côté, Kerian ne pu s'empêcher de le dévisager la mine presque extatique. Elle se reprit rapidement et toujours dans le silence, fit quelques pas en sa direction avant de lâcher : Salut Sam ... Comment vas tu ? Comment vas tu ?!! Mais quelle conne ! Alors n'importe quoi ... Que voulait tu qu'il te réponde Kerian ? Elle savait que c'était stupide mais il l'avait prise au dépourvu. Elle avait espéré amener le sujet de son retour plus sereinement et pas comme on lâche une bombe sur le Pacifique. Alors, plutôt fière de nature, elle garda ses positions et ne désira pas vraiment se montrer instable une seconde de plus.